Nota : ceci est un billet d’invité. Pierre Savignat, Président de la Société Française de l’évaluation (SFE), a souhaité réagir aux échanges récents tenus ici et ailleurs. Bonne lecture.
Sous la plume d’Alix de Saint-Albin et de Thomas Delahais, la Vigie invite l’ensemble des acteurs de l’évaluation à une réflexion nécessaire (et sans doute salutaire !). La SFE ne pouvait résister à y apporter une contribution.
Un bref retour sur l’histoire
L’évaluation résulte avant tout de l’évolution de l’action publique elle-même. Les années quatre vingt ont été le théâtre, entre autres, d’une interrogation protéiforme des politiques publiques. Les questions de leurs coûts et, plus largement de la dépense publique, se sont imposées sur l’agenda. En outre, ces dimensions ont nourri, et nourrissent encore, des critiques sur l’efficacité de l’action publique, et in fine de sa légitimité. Pour faire court, l’idée que celle-ci était vertueuse par essence a disparu. Dans le même temps, les outils traditionnels de pilotage de l’action publique, largement basés sur la vérification et le contrôle, sont apparus comme insuffisants pour en rendre compte.
De la circulaire Rocard en 1989 au programme MAP aujourd’hui, l’évaluation s’est progressivement imposée comme une contribution structurante à la conception et au déploiement de l’action publique, perçue à la fois comme distincte mais complémentaire d’autres dispositifs comme le contrôle, l’audit, l’observation, la statistique, le suivi ou la prospective.
Et maintenant ?
A première vue, la nécessité d’évaluer fait consensus ou quasiment. D’une certaine façon, l’on n’est plus aux temps où le débat se structurait entre pour ou contre l’évaluation. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Pour autant, à y regarder de plus près, la situation est plus compliquée et l’on perçoit bien que les approches évaluatives, les façons de faire, les finalités assignées sont pour le moins diverses voire en tensions.
En fait, la diffusion de l’évaluation dans les sphères administratives, politiques ou scientifiques, s’est réalisée en fonction de l’histoire, de la culture, des domaines de compétence, des pratiques et des objectifs propres à chacun de ces acteurs. Cette approche est essentielle pour apprécier la façon dont, notamment, les pouvoirs publics, les inspections générales, la Cour des Comptes, les collectivités locales, les économistes abordent cette question. Autrement dit, chacun déconstruit et reconstruit l’objet « évaluation » en fonction de ses propres critères.
Des lignes de fracture
Dans ce contexte, établir une typologie peut aider à se repérer. Mais il semble que le plus remarquable réside dans l’existence de thématiques alimentant des controverses qui traversent aussi chaque acteur, sous une forme ou sous une autre. Parmi elles, l’on peut citer : la formalisation de la commande publique ; les méthodes et outils employés ; les liens entre quantitatif et qualitatif ; la (ou les) temporalité(s) ; la place et le rôle des usagers, des citoyens ; l’utilisation des résultats des évaluations.
De même des interrogations légitimes portent sur les évaluateurs, au-delà même de principes comme l’indépendance ou la transparence par exemple. Les questions de la formation, de la professionnalisation, de référentiels métier, voire d’une forme de labellisation sont en débats (y compris au sein de la SFE).
L’illusion du pilote universel
Nous partageons l’idée qu’il convient de favoriser les confrontations tant sur les questions de doctrine, que sur les méthodologies déployées sans oublier les échanges sur les pratiques. Néanmoins, l’idée d’un lieu unique correspond peu aux réalités que nous avons essayé de décrire.
En l’état actuel des positions, les cultures évaluatives sont trop éloignées pour permettre à chacun de se reconnaître dans une instance unique au niveau national. En outre, il faudrait tirer un bilan sérieux de l’expérience du Conseil scientifique de l’évaluation et du Conseil national de l’évaluation, tout deux disparus sans réels débats (respectivement en 1998 et en 2008).
La question semble plutôt être dans la multiplication des espaces d’échanges et de débats et dans la mise en œuvre de partenariats pour justement éviter cette « guerre de chapelles ».
La SFE, un des acteurs de l’évaluation
Si la SFE est une « chapelle » reconnaissons que c’est la seule qui soit largement « œcuménique » Elle est largement ouverte à tout acteur intéressé, sous une forme ou sous une autre, à l’évaluation, dans un esprit marqué par le pluralisme des visions et des pratiques. En outre, elle n’a pas d’intérêt direct institutionnel n’étant pas commanditaire et ne réalisant pas d’évaluation.
Pour autant, la SFE n’a pas la prétention d’être LE LIEU de coordination et d’échange.
Elle a l’ambition de contribuer, de la façon la plus ouverte possible, aux débats et controverses, à la confrontation des pratiques. La SFE contribue aujourd’hui à ce débat par :
- de nombreuses actions directes : clubs régionaux, groupes de travail, réseaux thématiques, journées d’étude, publications…
- le développement de partenariats avec des institutions impliquées directement dans l’évaluation : administrations, agences, collectivités, élus, universités, associations…
- des échanges articulés avec d’autres acteurs du pilotage des politiques publiques : prospective, audit, contrôle de gestion, statistique publique, …
Dans cet esprit, la SFE est ouverte à tout débat et à toute initiative.
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Pierre Savignat
Président de la Société Française de l’Evaluation